Le Café de la Poste, situé dans le quartier de Belleville, fait l’angle de la rue Sambre-et-Meuse et attire toutes les populations de ce bout du dixième arrondissement de Paris.
Le café se tient entre le bureau de poste et la grande cohue du marché de Belleville, habituelle un samedi matin.
La lumière du ciel gris submerge le café. Il y a longtemps que la maison ne prend plus la peine d’éteindre les néons au plafond, qui luttent pour ajouter leur légère touche de teinte jaunâtre aux tables en bois de récup éparpillées dans la salle.
Au pied du comptoir, des myriades de sachets rouges « Cafés Richard » jonchent le sol et laissent filer des traînées de sucre en poudre. Le samedi matin, la principale activité du café consiste à faire savourer quinze minutes de chaleur autour d’un café aux travailleurs et clients du marché. Le chiffre d’affaires se fait à la soucoupe à deux euros et le terminal de carte bancaire demeure rangé au fond du tiroir.
Sur le zinc, trois tas de pièces attendent leur tasse de café avec son grand verre d’eau. À côté de la machine à café, dix bouteilles de pastis Pernod Ricard trônent sagement, guettant l’arrivée du soir et son flot de clients qui commanderont des heures durant les verres d’alcool froid. Un client prend déjà de l’avance et contemple sa coupe de Leffe, front baissé, les doigts entrecroisés, attendant que le houblon et le malt fassent leur effet.
À une table, deux vieux Arméniens discutent en bougeant les mains. Proche d’une grande vitre, deux Russes se taisent en balayant la salle du regard, les mains massives posées sur les genoux. À leur côté, un homme au regard inquiet se morfond, les coudes posés sur le bois usé. Il avale son café et repart dans le froid.
La table qui fait face au comptoir est occupée par cinq militants du député et candidat communiste Fabien Roussel. Fanions sortant du sac, pile de tracts aux pieds, leur débit est rapide, chauffé par les démarchages politiques de la matinée au marché de Belleville.
“Là, t’as les tracts en format PDF, ici les articles et les guides, qui sont franchement bien foutus.” L’un d’eux présente la plateforme du parfait militant sur laquelle il a bûché. “Y a aussi un guide pour le porte-à-porte qui est bien structuré !” Et comme il représente le parti du peuple, il n’hésite pas à lancer “Merci chef !” à l’égard du patron qui accompagne la tasse de son habituel regard taiseux.
Un rictus figé, la commissure des lèvres tombante, les yeux noirs enfoncés, le patron a pour seul répit sa clope fumée toutes les soixante minutes. Le regard terne constamment posé sur la salle, surveillant silencieusement les tasses vides et les entrées de nouveaux arrivants, il tient sa salle du regard comme un cuisinier ses marmites. Son corps longiligne se plie à une succession de gestes précis, suivant une suite logique et optimale de gain de temps, ne laissant place à aucune manœuvre inutile. Ces mouvements consistent à :
- Poser la soucoupe et sa cuillère le temps que le café chauffe
- Récupérer la monnaie puis vider le porte-filtre contenant le marc de café en frappant la poignée comme un marteau
- Nettoyer les tasses et les verres entre deux commandes sans lâcher sa salle du regard
- Récupérer les tasses et les verres vides quand son serveur est en train de nettoyer / nettoyer quand son serveur sert des cafés
Un boucher du marché, portant un tablier noir, le physique robuste, entre à grandes enjambés. “Tu m’en remets un !” lance-t-il avant de s’engouffrer directement aux toilettes. À son retour, il avale son double whisky Jack Daniel’s avant de repartir le pas rapide en direction du marché. Il est onze heures du matin.
Une réflexion au sujet de « Un samedi matin au Café de la Poste de Belleville »
Extra vivant ! Nous sommes dans ce café !