#4/9 – Dormir chez un dealer à Téhéran

dealer à Téhéran portrait

Alcool, porc blanc mais aussi cannabis ont le vent en poupe sur le très dynamique marché noir iranien et Bob* mon hôte du moment a su en tirer parti. Bob produit son cannabis dans plusieurs fermes dans le sud du pays qu’il revend dans les quartiers riches au nord de Téhéran.

Vendre sur le marché noir en Iran, une réponse à la précarité de l’emploi

Comme beaucoup d’iraniens, Bob estime que le gouvernement est totalement dépassé et incapable de donner du travail à tout le monde. Chômage massif et des factures à payer, le marché noir est un moyen d’arrondir les fins de mois pour certains. Surtout pour ceux qui, comme Bob, vivent à Téhéran où les loyers sont élevés, comparables à certains loyers parisiens. Autrement, du haut de ses trente ans Bob devrait lui aussi vivre chez ses parents.

Officiellement, la production et vente de cannabis est passible de pendaison. On peut quand même s’en tirer avec un peu de prison, des coups de fouet voire même une simple amende. Tout dépend de l’humeur du juge m’explique Bob. Deux mois plus tôt, les fermiers voisins des plantations de Bob, alertés par l’odeur et méfiants de voir débarquer ce jeune de la capitale dans les parages, ont fini par alerter la police. Il s’en est tiré avec une simple amende malgré les quelques kilos de production. Depuis, Bob a bien retenu la leçon et a pris soin d’implanter sa production dans une ferme totalement isolée.

L’étendu de l’économie souterraine et du marché du cannabis en Iran

Bob vend auprès de la clientèle aisée des quartiers nord de Téhéran, aussi bien des jeunes que des personnes plus âgées, aussi bien des médecins que des petits commerçants. Un policier en congés rencontré plus tard explique : “À part les mollahs, tout le monde a un contact. Pour le cinéma censuré, du vin ou parfois même des sandwichs*. Et tout le monde, c’est tout le monde. On trouve même des policiers et des juges.« , me dit Bob derrière son Excel où il entre ses dernières ventes.

Les dealers n’appartiennent jamais à de grands réseaux en Iran. Les cartels n’ont pas le temps de grandir qu’ils disparaissent en passant bien souvent par la corde. “Les vendeurs n’ont souvent pas plus d’une dizaine de clients et leur clientèle se restreint souvent au cercle familial et à quelques amis. Se contentant d’arrondir les fins de mois, ils ne sont pas vraiment gênants. » précise Bob.

Le nombre de petits vendeurs est si important à travers le pays qu’il est impossible pour les autorités de stopper le marché noir désormais très bien implanté en Iran. « Tant que tout se passe dans le silence et dans un petit cercle, ni le vendeur ni son client n’ont à s’inquiéter » me confie plus tard un jeune policier. Le gouvernement adopte davantage une politique de contrôle que de sanction draconienne envers les petits trafiquants, comme en témoigne le récent amendement visant à réduire les condamnations à morts pour détention de cannabis. Bob me parle d’un accord tacite entre le régime et les iraniens : « À défaut de perspectives d’emploi, les autorités acceptent de lâcher un peu de lest et limitent les descentes en ce moment.


Fumerie d’opium en Iran

Pour fumer à l’abris des regards, certains font le choix de louer un appartement. C’est le cas d’un groupe d’amis de Bob que nous visitons quelques jours, qui utilisent un appartement de fortune tant pour se cacher des autorités que de leur propre famille.

Une télévision, quelques coussins pour s’asseoir autour du réchaud pour faire chauffer les boules d’opium et les sept pipes en bois sont tout ce que possède cet immense appartement vide. Un ventilateur permet de péniblement aérer les pièces et dissimuler l’odeur dans le reste de l’immeuble situé dans une banlieue pauvre et déserte. Un soir, le ventilateur est tombé en panne. Il a fallu faire entrer un réparateur. Dans ces moments-là, on ne lésine jamais sur le pourboire.

Ils ont un travail stable et sont pour la plupart mariés. Certains ont même des enfants. L’un de ces quarantenaires a commencé il y a six ans. Entraînant peu à peu ses amis, leur consommation d’opium a tant augmenté qu’ils ont fait le choix de louer l’appartement. Ils quittent leur travail au milieu de l’après-midi et rentrent chez eux bien tard dans la nuit. Il passe le reste du temps dans l’appartement.

Certains européens font même le voyage jusqu’à Téhéran pour profiter de l’offre, le marché européen étant actuellement en pénurie. À l’inverse, la présence de l’Iran dans le triangle d’or de l’opium assure des prix très bas sur le marché noir et un produit d’excellente qualité. Guido, un hollandais qui vit à Téhéran, me parle d’anciens amis à lui dont le visa vient d’expirer. Ils attendent de se finir clandestinement dans leur taudis du sud de Téhéran.

L’opium se consomme surtout dans les quartiers pauvres au sud de Téhéran. Les travailleurs immigrés se sont concentrés là-bas. La plupart ont fui l’Afghanistan et le Pakistan pour l’Iran où ils occupent des boulots précaires que les iraniens refusent. Le chômage atteint des sommets dans cette zone. Le niveau d’abandon par les autorités est tel qu’on croise parfois des jeunes prendre leur héroïne en plein milieu de la rue et les seringues traîner juste à côté des corps allongés, comme me le rapporte un autre voyageur français hébergé par des iraniens dans la zone lorsque je suis à Téhéran.

L’histoire du trafic de cannabis à Téhéran depuis 1979

Bob vient des quartiers riches de Téhéran, situés au nord de la capitale. Il m’explique qu’après la révolution de 1979, le marché du cannabis en Iran se cantonnait presque exclusivement à la banlieue sud de Téhéran. Puis les petits vendeurs des quartiers pauvres du sud de Téhéran sont partis à l’assaut des foyers aisés du nord de la ville. La jeune génération des quartiers nord se contentait d’abord d’acheter. Puis, comme Bob, elle a fini par profiter de son propre réseau d’amis et à récupérer le marché. Les vendeurs du sud ont fini par déserter les quartiers nord.

En Iran, les dealers doivent se contenter d’une clientèle restreinte pour limiter les risques. Le secret pour réussir, c’est donc de fidéliser une clientèle aisée en proposant un cannabis de qualité. Soucieux de la sécurité de ses clients, Bob communique uniquement via la messagerie Telegram. Aussi utilisée par les groupuscules étudiants opposés au régime, cette messagerie a l’avantage d’être cryptée. Beaucoup d’iraniens l’utilisent dans un pays où la surveillance de la population est forte, au point que Telegram est actuellement plus populaire que Messenger ou Whatsapp en Iran.

L’impossible production d’opium en Iran

Produire ses propres pavots en Iran mène irrémédiablement à la corde après un procès rapide. Selon Bob, le gouvernement iranien a ses parts dans plusieurs fermes afghanes. Certaines produisent le pavot dont est extrait l’opium et le gouvernement souhaiterait éviter toute concurrence sur son propre sol. Je suis d’abord dubitatif. Pourtant un commercial se rendant régulièrement en Afghanistan me parle à nouveau de cette affaire plus tard dans mon voyage. Les dealers d’opium iraniens se contentent de vendre l’opium en s’approvisionnant auprès de producteurs Afghans et Pakistanais. On ne se hasarde donc pas à produire soi-même son pavot en Iran.

Plus tard, un ami iranien et moi sommes pris en auto-stop par Mohmed au milieu du désert du Dasht-e Kavir. Mohmed est routier et arrive de l’Est du pays. Il nous explique que la sécurité est renforcée sur la route reliant Zahedan – à la frontière Pakistanaise – à Ispahan – situé au cœur du pays – alors que nous passons un poste de police perdu au milieu du désert. Des trafiquants voulant relier l’Europe depuis le Pakistan l’empruntent régulièrement. Puis Mohmed éclate de rire en nous imaginant pris par un convois de narco-trafiquants Pakistanais. Mohmed est hilare. Moi je me dis que ça aurait été bien cocasse.

Nous passons une journée aux côtés de Mohmed à traverser le désert. L’occasion pour moi de rédiger mon prochain portrait.

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