#5/6 – L’hindouisme vu par un gourou

hindouiste gourou

Depuis deux semaines, je traverse le Maharashtra. Ce gigantesque État du centre de l’Inde compte plus de 144 millions d’habitants et s’étend sur une superficie deux fois plus grande que la France. Partout, de vastes étendues de terre rouge et de forêts se mêlent à de grandes propriétés agricoles. Mon bus termine sa course à Malkapur, une ville indienne de taille moyenne typique, avec ses immeubles à la façade blanchâtre, ses travailleurs rentrant à vélo dans leurs villages et ses femmes en sari négociant sur les étales de légumes. 

Le prêche des gourous Hindous lors du Bhagavad Gîtâ

Alors que je marche dans la nuit fraîche et claire, fumant une agréable cigarette aux clous de girofle – les cigarettes Garam -, un chant religieux hindou monte par-dessus les immeubles. Je pars à la recherche du chant dans les rues voisines. C’est dans la cour d’un immeuble croulant que se déroule la cérémonie, à côté d’un parking. Une grande tente a été installée et le prêche du gourou entouré de ses hommes de foi se déroule sur une estrade. Je rejoins les hommes, assis sur de grands tapis au fond ; les femmes, portant toutes le sari, sont assises devant la scène. 

Le prêche des gourous, entièrement recouverts de blanc et de violet, durera trois heures, alternant discours et chants rythmés par les dhôls – percussions. Derrière le prêcheur se tient l’autel de Krishna. Cette semaine, ces gourous, venus de l’Uttar Pradesh voisin, font la tournée de quelques villes pour la célébration du Bhagavad Gîtâ. Le Bhagavad Gîtâ est une suite de poèmes épiques en sanskrit – l’antique langue des principaux textes religieux hindous – racontant l’histoire du Dieu Krishna. 

Le prêcheur déclame en hindi – langue la plus parlée en Inde -, afin d’être compris de tous. “Le thème d’aujourd’hui, c’est la peur” m’indique un voisin. La foule assise écoute silencieuse le prêche enflammé du gourou, qui fait de grands gestes, la voix puissante, débitant chaque mot dans un flot rapide, puis, une fois l’audience captivée, ponctue sont intervention de chants accompagnés des dhôls et harmonium – sorte de clavier à vent. 

Ne supportant plus d’être assis en tailleur, j’ose tendre une jambe, provoquant une réprimande immédiate en hindi de mes voisins. “Montrer son pied au gourou et à Krishna, ça ne se fait pas !”, me dit l’un d’eux, les sourcils froncés. On ne rigole pas avec les pieds en Inde : on ne rentre pas chaussé dans une maison, on ne laisse jamais une pièce traîner à côté de son pied… C’est impur un pied. 

À l’issue de la prière, un enfant, qui est le seul à parler anglais – étonnement de très bon niveau -, m’invite à rencontrer le gourou. Nous montons alors dans l’un des escaliers de l’immeuble et pénétrons dans un appartement entièrement vide. Les musiciens, les mêmes qui ont animé les interventions du prêcheur, sont allongés sur des tapis et se reposent de leur performance. L’enfant me guide au fond d’un couloir, dans la pièce où se trouve le prêcheur. Ce dernier porte un sarouel blanc, de grands cheveux longs et arbore un collier Brahman. Nous échangeons quelques mots en hindi puis l’enfant m’indique que je peux rester, le temps qu’il me plaira. Je rejoins les gourous qui s’endorment sur un tapis et dois me tenir à l’écart – n’étant pas Brahman, je suis un impur. 

Dans la nuit, je suis réveillé par le son de l’ektara – un instrument à corde – et me trouve nez à nez avec deux pieds. Je lève alors les yeux sur le plus vieux des gourous jouant devant moi et me fixant. Il sourit puis cesse de jouer. Il me fait comprendre qu’il veut regarder mon téléphone, un Samsung contrefait acheté sur un marché de Delhi. Il tombe béat devant l’écran s’allumant avec des chiffres et une image. Je souris à mon tour en le voyant taper un numéro sur le code pin puis dire “hello!” à son interlocuteur imaginaire. 

Puis il me rend le téléphone, satisfait, et continue de jouer de l’ektara en traversant la pièce de long en large, marquant des pauses plus longues du côté de la climatisation. L’un de ses condisciples le rejoint, et selon l’usage, touche les pieds du vieux gourou, en guise de respect, avant que celui-ci lui tende l’instrument. Épuisé par mon long voyage, je me rendors. 

La journée type d’un Gourou lors du Bhagavad Gîtâ

Levé cinq heures. Les gourous se réveillent en chantant dans l’ancienne langue sanskrite alors que le soleil se lève. Puis, la dernière note terminée, l’un des gourous saute sur ses deux pieds, court vers moi en riant. “Chalo!” – “Allons-y !” – me dit-il. Les gourous rejoignent l’appartement du prêcheur de la veille. Dans l’escalier, les sages font un grabuge à réveiller les morts et ne cessent de rire. Ils sont amis de longue date et se retrouvent chaque année afin d’effectuer la tournée du Maharashtra lors du Bhagavad. 

Arrivé à l’appartement, Vijay, l’un des gourous, m’indique que nous allons prendre la douche. Puis les rires hilares de ses compagnons éclatent de la salle de bain alors qu’un pain à savon voltige à travers le couloir à destination de Vijay. Nous nous lavons en caleçon au baquet. En Inde, rare sont les douches, même au sein des familles riches. On remplit une grande bassine d’eau, puis on utilise un petit récipient pour se verser l’eau, accroupis. 

Après les ablutions, les gourous rejoignent la grande salle à vivre et s’allongent sur de grands tapis. Vijay sort un attirail de poudres. “Make up!” dit-il. Chaque gourou passe de la poudre blanche sur le visage de son voisin avant de lui ajouter un point noir et un point orange. Vijay se charge de me peindre aussi. Je prends congé de mes hôtes qui s’esclaffent alors que je justifie mon départ par “sousou” – “pipi”.

En Inde, les toilettes consistent en un simple trou – l’équivalent de nos « toilettes à la turque ». Pas de papier toilette ici. Après avoir fait sa commission accroupie, un petit robinet et un baquet permettent de se laver. L’idée de se laver avec du papier toilette dégoûte la plupart des indiens, qui s’interrogent très sérieusement sur la capacité du papier à assurer la propreté des orifices lors d’un essuyage à sec. En somme, ils trouvent souvent le concept de papier toilette idiot et très sale. Pour ma part, je comprends rapidement pourquoi on trouve des pavés de savon jusque dans les toilettes les plus insalubres des gares de la banlieue de Delhi.

En attendant la prière de dix heures, les gourous paraissent ; certains me montrent sur leur portable les photos de leurs femmes et de leurs enfants – certains gourous ont un travail et une famille – ainsi que des photos de leur Dieu. Puis, les rires cessent et le ton devient très sérieux. La religion hindoue compte suffisamment de divinités pour que personne ne se soit accordé sur leur nombre. Un gourou est un hindouiste qui dédie sa vie à l’un de ces Dieux. Pour ceux-là, c’est Krishna, Dieu suprême à l’origine de tous les autres et huitième incarnation du Dieu Vishnu.

Puis nous jouons au Ludo, un jeu très répandu en Inde et qui ne suit ni plus ni moins que les règles des petits chevaux. En parallèle, certains respirent un peu de colle. “Ça tranquillise l’esprit.”, me justifie-t-on. 

Je demande à Vijay de rencontrer à nouveau le prêcheur accompagné de l’enfant qui parle anglais. Nous entrons donc dans sa chambre, alors qu’il chante des passages des Vedas – les textes sacrés hindous – avec un autre gourou accompagné d’un harmonium – une sorte de clavier à soufflet.

Un ou des hindouismes ?

À douze ans, le gourou a abandonné l’anglais pour se consacrer au sanskrit. Le sanskrit, qui est aux langues d’Inde du nord ce que le latin est aux langues d’Europe du Sud, n’est plus parlé dans le langage courant mais reste vivement pratiqué par les gourous hindouistes, dont les textes sacrés sont pour la plupart rédigés dans cette langue. 

Depuis le début de mon voyage, je peine à comprendre cette religion, dont le message me semble abstrait et la constellation de dieux infinie. Après d’importants discours sur le spirituel, le cycle de notre âme et notre karma, le gourou me fait comprendre que l’hindouisme est une religion plurielle, non-figée, en mouvement. Le terme “hindouisme” n’est apparu qu’au XI° siècle, suite aux invasions afghanes et à l’affluence des populations musulmanes dans la péninsule indienne et souhaitaient mettre un mot pour désigner les croyances de la région. 

À cette époque, chaque région indienne avait alors ses propres dieux, ses textes et ses rites. Chaque siècle apportait son lot de nouveaux dieux, de nouveaux mythes et encore de nouvelles façon de prier. “Nous n’avons pas un seul texte fondateur, mais des centaines de textes, et qui parfois avec leurs contradictions. C’est pour cela que notre religion est si difficile à comprendre, surtout pour des monothéistes, qui ne s’appuient que sur la Bible ou le Coran” me traduit l’enfant. L’occupation musulmane puis la colonisation par l’Angleterre victorienne se sont chargées de figer ces mythes, ces Dieux et leurs histoires en une seule religion que les étrangers ont peu à peu baptisé eux-même : l’hindouisme – les mythologies des peuples de la péninsule Indienne. 

L’heure de la cérémonie revient. Je quitte ma compagnie, saute dans un auto-rickshaw et reprend ma route à travers le Maharashtra. 

Portraits photographiques : religion

sikh amritsar
Le « Golden Temple », le temple central du Sikhisme, religion apparue en Inde au XVII° siècle
taj mahal inde
Héritage de l’architecture islamique, le célèbre Taj Mahal est un mausolée construit par un empereur moghol musulman en mémoire de son épouse
hindouisme prière inde
Les musiciens accompagnant la cérémonie se préparant avant le prêche. Au centre, le dhôl.
gourou hindouisme inde
Vijay et les gourous au levé : la journée débute à cinq heures par un chant en sanskrit suivi des ablutions
autel hindouiste inde
Autel au coin d’une chambre (Calcutta)
autel hindouiste maison inde
Autel au coin d’une chambre (Patna) : sur la droite, le Shankha, coquillage dans lequel chaque matin l’un des membres de la famille souffle après le rituel

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *