#5/9 – Les Iraniens fans de Camus

hospitalité en Iran

S’il y a bien une chose marquante lorsqu’on voyage en Iran, c’est l’hospitalité singulière des Iraniens. C’est ce que Ludovic Hubler, après cinq ans à traverser le globe en auto-stop, relève dans son récit de voyage lors de son passage dans l’ancien empire persique. C’est ce qui m’a poussé à voyager en Iran.

Boire le thé à Ispahan avec Hamed

Alors que je traverse une rue à Ispahan, un homme m’interpelle derrière moi. C’est un homme âgé qui rentre de l’usine où il travaille. Il me demande si j’aime Ispahan. Puis d’où je viens. Puis si j’ai le temps de partager un thé avec lui. Je me retrouve alors après trois phrases avec Hamed sur le chemin de sa maison pour boire le thé.

Nous enlevons les chaussures à l’entrée. En entrant chez Hamed, je découvre une maison pleine de cartons. Il m’offre sa meilleure chaise et redouble d’excuses de ne pas pouvoir m’offrir plus. Hamed revient avec des bols de fruits et du thé. Lui ne prend rien, c’est le ramadan et le soleil n’est pas encore couché. Il s’assoit en face de moi et souhaite tout connaître de la France. Comment nous vivons, à quoi ressemblent nos rues, nos maisons, comment est notre président… Comme beaucoup d’Iraniens, il n’a jamais voyagé en dehors de l’Iran et je suis fasciné par sa curiosité.

Ensuite, Hamed ouvre un album photo pour raconter sa vie. Il est né et a grandi à Téhéran. À cette époque où les photos étaient encore en noir et blanc, lui et ses trois copains étaient devenu les maîtres incontestés de tout le quartier de Beryanak en vol de bonbons chez l’épicier. Puis la révolution a éclaté et avec elle la guerre contre l’Irak. Il a alors fallu faire le service militaire puis aller au front. Après ça, Hamed a trouvé un travail dans une usine à Ispahan. Il n’a jamais quitté son travail depuis. Il vit seul. Alors pour occuper le temps, il se passionne pour la photo et plus précisément pour celles des prairies vertes du nord de l’Iran. Notons que les Iraniens ne finissent jamais d’être scandalisés de voir les touristes étrangers voyager dans le centre aride du pays alors que le nord est une petite bande champêtre de jungles et de verdure. Hamed m’invite alors à admirer avec lui des centaines de clichés de coquelicots devant des collines de prairies. C’est joli.

À la fin de notre discussion, au moment où tout a été dit, nous nous quittons. Avant de partir, Hamed a presque oublié mon cadeau ! Il garde toujours un cadeau si un étranger vient boire le thé chez lui. C’est un parfum. Il me fait un signe d’adieu alors que je quitte sa petite rue. J’ai déjà été invité plusieurs fois à boire le thé mais cette fois je sens une boule au ventre en quittant Hamed.

hospitalité des Iraniens lors d'un anniversaire à Téhéran
Téhéran, lors d’un anniversaire

Farzon, gérant de café à Ispahan féru de Camus

Dans les confins de la banlieue d’Ispahan il y a un café. Dans ce café, on trouve un mur en bois sur lequel les marchands du quartier s’adossent silencieux, le regard grave, en attendant leur expresso. Ils boiront leur ristretto précipitamment et repartiront dans leurs boutiques le pas pressé, sans un mot. En face du mur en bois, le comptoir. Derrière ce comptoir on trouve Farzon, le gérant du café. Son expresso colombien est raffiné, succulent. Farzon invite son employé à prendre congé et ferme la grille. On m’avait dit que Farzon tenait absolument à me rencontrer mais pas jusqu’à fermer boutique pour m’accueillir.

Assis sur le tapis persan dans son appartement – une simple pièce sombre en sous-sol -, Farzon apporte des bols remplis de délicieux fruits frais, du thé et du sucre. Il a tout perdu de son anglais mais Jafar fait office de traducteur. Farzon a étudié la littérature et montre un vif intérêt pour la philosophie de l’Homme Révolté de Camus et pour Sartre. Musulman pratiquant et féru de Camus, Farzon a tout pour élever ma curiosité ! Beaucoup de jeunes iraniens rejettent les institutions islamiques du régime actuel. Toutefois, comme Farzon, ils se disent musulmans dans le sens où ils croient en Dieu et respectent les traditions islamiques dans un cadre familiale.

Nous rabattons alors la discussion autour de la chasse au cochon blanc. Farzon est un gourmet très enthousiaste quand il s’agit de porc blanc. République Islamique oblige, la consommation et la vente de cochon est interdite en Iran. Toutefois certains consomment du cochon blanc vendu sur le marché noir en Iran. Manger du porc blanc n’est pas tabou, même au sein des familles pratiquant l’islam m’explique Farzon. En Iran, cette règle est perçue comme adaptée au temps où le porc ne se conservait pas, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

À Tabriz, l’hospitalité de Morteza, chercheur en biologie

À Tabriz, je rencontre Morteza, un doctorant boute-en-train de 32 ans qui a passé cinq ans à soigner des victimes du Sida au Cameroun. C’est aussi un fan inconditionnel de Kung-fu Panda. De plus, Morteza adore voyager et fait beaucoup de Couchsurfing quand il voyage parce qu’il n’y a rien à faire dans un hôtel. Et le reste du temps, il aime accueillir l’étranger de passage parce que rien ne fait plus plaisir à Morteza qu’une bonne discussion autour d’un bon poulet entier avec du riz et du naan. Enfin, Morteza garde toujours une assiette du pauvre à côté de lui quand nous mangeons comme lui a enseigné sa maman. Mais parfois il la mange aussi.

hébergement en Iran par un étudiant
Morteza, dit Le Doc, sur la route pour présenter sa thèse

Un soir, Morteza et moi croisons un couple de Suisses à vélo à l’entrée de leur camping. Partis de Zurich, ces deux jeunes instituteurs rejoignent Pékin à bicyclette. Spectacle étonnant, à peine arrivés dans leur camping, les familles de touristes iraniens ne tardent pas à encercler les deux cyclistes pour leur donner des gâteaux et de l’eau. Une femme offre spontanément un de ses voiles à la suissesse qui se bat depuis le début de la journée avec son bout de tissu qui ne cesse de tomber.

Le couple me confie que depuis la Turquie, ce ne sont pas tant les montagnes qui les ralentissent dans leur avancée que les habitants qui ont la fâcheuse manie de toujours vouloir discuter en prenant le thé. Pas un col ne se gravit sans qu’un thé soit servi dans une maison. Parfois, les hôtes éternisent tant la conversation qu’ils finissent par proposer un tapis une fois la nuit tombée. On ne sait jamais s’ils le font exprès. Ce soir-là, Morteza promet au couple de leur apporter le petit déjeuner le lendemain.

Le matin du petit déjeuner, nous apportons aux deux voyageurs Suisses le miel, le fromage frais, des abricots et le naan Sangak encore tiède du boulanger – un délicieux pain aux graines de sésame. Nous préparons avec Morteza et les deux Suisses la suite de leur itinéraire vers le Tadjikistan. Puis nous nous séparons, le Doc expliquant nonchalamment qu’il doit soutenir sa thèse deux heures plus tard.

Les paysages et les monuments iraniens sont magnifiques et chargés d’histoire, mais la force de ce voyage en Iran tient surtout de la curiosité sans borne des iraniens. Le sens de l’accueil des Iraniens s’explique d’abord par la vertu religieuse que l’hospitalité représente dans l’islam. De plus, les Iraniens que je rencontre ont bien souvent à cœur de prouver aux voyageurs qu’ils ne sont pas à l’image de leur propre gouvernement, considéré comme fermé et hostile à l’étranger. Enfin, le niveau d’éducation des Iraniens mêlé à la fermeture de leur pays rend les iraniens plus enclins à questionner les étrangers de passage, facilitant donc les rencontres et les belles conversations.

Je poursuis par la suite mon voyage à Fuman, à côté du village en terrasse de Masuleh. L’occasion de regarder un match de football avec un vendeur de thé et ses amis, entassés derrière le comptoir d’une épicerie. Prochain article !

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