#3/9 – Histoires des opposants au régime Iranien

jeunes iraniens à Téhéran

Au-delà d’être la plus ancienne et la plus grande université d’Iran, l’université de Téhéran est surtout connue pour être le lieu de départ de la plupart des mouvements de contestation contre le régime iranien. Depuis la révolution de 1979, l’Iran est sous l’autorité rigoriste des mollahs, aussi appelés les Gardiens de la Révolution. Depuis, l’économie est en berne et la société iranienne verrouillée. Parmi les étudiants de Téhéran, certains font le choix de dire non, bravant les mises sur écoute, les intimidations et les arrestations. Je rencontre plusieurs d’entre eux lors de mon voyage à Téhéran.


La société iranienne depuis la révolution de Khomeini


Chômage de masse, fermeture à l’international, un ascenseur social bloqué, rigorisme religieux et manque latent de liberté sont les termes qui reviennent quand on demande à un jeune iranien de décrire son pays. À Fuman, un épicier m’invite à boire le thé chez lui. Il m’explique qu’après ses études, il a accompli ses deux ans de service militaire obligatoire. Il était mobilisé pour des missions ingrates voir totalement absurdes en raison des trop nombreux conscrits mobilisés dans le pays. Malgré 5 ans d’études, il doit aujourd’hui se résigner à faire un travail purement alimentaire dans une épicerie, l’emploi étant totalement à bout de souffle. À 30 ans, il vit chez ses parents, les loyers en Iran étant trop onéreux. Ajoutons à cela le conservatisme religieux imposé par le régime qui interdit tout rassemblement festif, rend le rapport sexuel totalement tabou hors mariage et ferme les postes à responsabilité à qui n’est pas un fidèle à la révolution. L’épicier ne voit qu’une longue vie monotone devant lui conclut-il.

Un couple de peintres téhéranais rencontrés plus tard m’explique que du point de vue des jeunes, l’Iran n’offre aucune perspective. Une partie se résigne à accepter le modèle imposé par le régime des mollahs. Une autre rend le quotidien plus supportable en menant une seconde vie cachée, en jouant par exemple sur le gigantesque marché noir iranien sur lequel le régime ferme les yeux. Enfin une minorité rassemblée clandestinement dans les cercles étudiants et artistiques de Téhéran s’oppose ouvertement au régime. Le jeune couple explique que leur opposition est une lutte à visée politique. Mais c’est aussi un moyen pour eux de goûter à la liberté dans une société plongée de force dans la passivité et l’ennui ajoutent-ils.


Les réunions étudiantes dans le parc de l’université de Téhéran


Je rencontre Edouard, un voyageur français qui voyage à Téhéran en même temps que moi. Ses hôtes sont doctorants en sociologie à l’université de Téhéran et souhaitent faire découvrir leur lutte à un étranger. Chaque semaine, le groupuscule d’étiquette communiste se retrouve pour parler d’un livre que chaque membre doit lire dans la semaine. L’un des membres dirige le débat. Cette semaine-là, la discussion se fait autour d’Engels. Edouard qui pensait l’avoir rangé dans les livres d’histoires, voilà que Friedrich est très sérieusement remis d’actualité à Téhéran. La réunion se déroule secrètement dans un appartement ou bien parfois dans le parc de l’université de Téhéran.

Dans les cercles politiques souterrains, qu’ils soient sociaux-démocrates, libéraux ou communistes, tous se retrouvent autour de l’idée que le régime est dépassé par les enjeux du monde actuel, que le gouvernement est incapable d’enrayer la crise économique que traverse actuellement le pays et que la société iranienne est bloquée dans un conservatisme politique et religieux rejeté par les iraniens. Ces petits groupes se rassemblent parfois dans un petit parc de l’université de Téhéran.
Être présent dans ce parc a une vraie signification symbolique. Connu de tous les étudiants du campus universitaire de Téhéran, rejoindre les groupes présents dans ce parc est une façon de manifester son opposition. On aime d’ailleurs dire que c’est le seul lieu en Iran où on peut boire de l’eau et manger dans la journée impunément pendant le ramadan. Il y a comme un accord tacite avec les autorités. Celles-ci regardent mais n’interviennent pas.

Le prix à payer pour ces étudiants, c’est qu’ils sont tous fichés. Cela signifie pour eux blocages à l’embauche, surveillance renforcée et la prison voir la corde au moindre écart. Les hôtes d’Edouard sont mis sur écoute depuis plusieurs semaines. Parfois, on entend un souffle au téléphone.

opposants au régime iranien, une censure et une répression difficile
Une famille sur la Place Naghsh-e Jahan à Ispahan


Telegram, la messagerie cryptée incontournable en Iran


Tout le monde se met d’accord sur le lieu et l’heure des réunions sur Telegram. Cette messagerie a l’avantage d’être cryptée et permet de détruire les messages après lecture. Par conséquent, qu’ils veulent planifier des réunions secrètes ou simplement acheter sur le gigantesque marché noir, les iraniens ont trouvé leur parade contre la surveillance de l’État grâce à l’application. L’Iran est ainsi devenu le seul pays au monde comptant plus d’utilisateurs sur Telegram que sur Messenger ou Whatsapp. Lors des récentes manifestations contre le coût de la vie, les autorités iraniennes ont fermé la messagerie dans plusieurs villes du pays, coupant ainsi la communication entre les groupes de manifestants.


Répression des opposants politiques à Téhéran


La répression empêche ces groupes de se rassembler en masse et de constituer la moindre association. Les assemblées se font en petit nombre et se déroulent souvent sur fond d’expositions artistiques ou encore de cafés littéraires. Elles regroupent principalement des étudiants, des artistes et des écrivains. L’ensemble du groupuscule est arrêté lorsque les rassemblements prennent un peu d’ampleur. La peine peut aller de l’emprisonnement avec coups de fouet jusqu’à la pendaison.
Contraints de limiter la taille des réunions pour éviter les descentes de la police, on ne peut pas parler de véritable mobilisation. Toutefois, ces groupes apparaissent régulièrement dans l’actualité, en initiant des manifestations soudaines se soldant souvent par des arrestations massives. Malgré la répression musclée, ils choisissent de continuer à se réunir.


Pas de grande révolution possible en Iran


Toutefois, même les groupes les plus à gauche n’envisagent pas de soulèvement ni de révolution. En Iran, le Printemps Arabe a été perçu comme un vent de chaos dans une région déjà minée par l’instabilité. L’Iran se trouve alors entre l’Etat Islamique à l’ouest et les insurrections des talibans à l’est. On a connu voisins plus sympathiques. En raison du contexte régional chaotique, les groupuscules parlent plutôt de transition que de véritable révolution.


La censure de l’art en Iran


Plus tard dans mon voyage, je rencontre un jeune metteur en scène de Téhéran. Le metteur en scène décrit l’art officiel comme ennuyeux et sans intérêt, totalement encadré par la censure. En théâtre, ce sont bien souvent des comédies amoureuses répétant sans cesse la même trame. Selon lui, l’art est un outil du régime pour endormir les iraniens. Il m’explique qu’en revanche il existe un art iranien souterrain qui se concentre presque exclusivement dans la capitale, reclus dans les sphères privées. Des galeries d’art, des théâtres et des concerts non censurés s’exposent et sont représentés entassés clandestinement dans des appartements de Téhéran.

Il m’explique qu’il présente bientôt une pièce dans son école d’art reprenant un court passage du procès de Kafka où le protagoniste K. va voir une femme la veille de son procès. L’auteur l’évoque sur deux lignes seulement. Le metteur en scène téhéranais focalise son histoire sur ce qui aurait pu se passer si Kafka avait approfondi ce qui se serait dit à l’intérieur de ces deux lignes. À la fin, ils font l’amour. Il ne sait pas si ça passera. La censure lui interdira très probablement de finir en intervenant au milieu de la pièce. Lui s’en fout.

Même si elle représente une minorité, cette jeunesse confirme dans ce voyage que l’Iran d’aujourd’hui a deux visages. Celui d’un régime rigoriste que l’on trouve dépeint dans l’actualité et dans les manuels d’histoire. De l’autre côté, une majorité d’iraniens qui ne se retrouvent pas dans leur gouvernement et continuent de vivre comme ils l’entendent, en secret. Je conseille enfin le film Taxi Téhéran de Jafar Panahi, une fresque poignante et burlesque de l’Iran. Prochain portrait, rencontre avec un distributeur sur le marché noir iranien qui est mon hôte pour quelques jours à Téhéran.

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