Au tribunal correctionnel de Paris, un homme accusé d’avoir poursuivi à l’arme blanche un étudiant allemand.
Le prévenu entre dans le box des accusés. Le visage maigre, le regard hagard et les yeux cernés, il semble chercher un repère sur lequel s’accrocher. « Il est soudanais », glisse le jeune greffier. « Il peut comprendre l’arabe ? Appelez l’interprète ! », répond la présidente, les cheveux courts, des lunettes rondes et rouges posées sur le nez. Elle poursuit sur les faits ayant eu lieu en juillet dernier aux abords du canal de l’Ourcq.
Alors qu’Adrien – le plaignant – rentre d’un verre entre amis à vélo, il déclare voir un homme en doudoune s’affairer sur un vélo. Le soupçonnant de forcer le cadenas du vélo, il interpelle l’homme avant que le ton ne monte, le décidant alors à appeler la police.
Nous aurions pu en rester à une tentative de vol si le prévenu n’avait pas décidé de sortir une lame de couteau Leatherman avant de courir après le plaignant. « Par contre pour la suite de la traduction vous ferez en même temps que moi et non après. Sinon on est bon pour rester jusqu’à minuit ! », dit sèchement la juge à l’adresse de l’interprète avant de se tourner vers le prévenu.
« Pourquoi ne vous êtes-vous pas présenté au commissariat le lendemain de votre interpellation comme on vous l’avait indiqué ? », demande la juge au prévenu. « Je n’ai pas compris le papier qu’on m’avait tendu ni ce que le policier m’avait dit. »
La police a finalement retrouvé Ali – le prévenu – quelques jours plus tard, au hasard d’un contrôle d’identité lors d’une vente à la sauvette à la Villette. « Je n’ai jamais volé, que ce soit ici en France ou là-bas, au Soudan. » « Pourtant le plaignant est formel. Parmi les visages qu’on lui a présentés, Adrien vous a reconnu », coupe la présidente en pointant sur un trombinoscope le visage numéro neuf auprès des assesseurs.
« Adrien ment ! », rétorque Ali. « Il vous a formellement identifié ! », tonne la juge en tendant le trombinoscope. « On me confond avec une autre personne. Je peux vous apportez quinze personnes qui me ressemblent ! », « Retirez le masque ! » Ali, le visage nu au milieu d’un silence lourd, fixe la juge, le regard furieux. « C’est bien lui », chuchotent les assesseurs en comparant le portrait.
L’avocat de la défense prend alors la parole. « La misère est une mère dont les deux filles sont détresse et délinquance. Ali n’est pas un délinquant. Il n’en veut pas au système français. Ali est en détresse. Il est en conflit avec ce système malgré lui. » L’avocat se tourne vers les trois juges : « Mesdames les juges, poursuivre la victime est un acte de détresse. Ali vous tend la main ! Je demande un suivi, une aide psychologique. » L’interprète ajoute de la bouche d’Ali « Je suis venu en France comme réfugié, pas pour me clochardiser. »
C’est alors à l’avocat du parti civil de s’avancer, aidé de sa canne et d’un assistant en raison de sa condition malvoyante. « Bien souvent, l’accusé dit que la victime ment, ou bien qu’elle lui en veut. Or Adrien ne ment ni n’en veut à Ali. En fait, ce soir-là, il pouvait éviter tout cela. Il aurait pu se contenter de rentrer chez lui à vélo. Mais il s’est dit “J’interviens !”, sans s’attendre à se faire poursuivre avec une arme blanche. » L’avocat, aveugle, marque une pause avant de s’amuser : « Maintenant quid de la reconnaissance faciale ? Il a baissé le masque, moi je n’ai pas pu le voir. Mais je suis sûr que ce tribunal saura apprécier. Je sollicite 300€ pour préjudice moral pour mon client. »
Finalement ce sont 3 mois de prison ferme, 200€ de dommages et intérêts et 6 mois d’interdiction de venir dans Paris qui sont prononcés à l’encontre d’Ali.