Faraz* dirige la base militaire de la ville de Chiraz, située au sud de l’Iran. Après quelques coups de fil, je réussis à joindre le général Faraz, qui a très à cœur de rencontrer un étranger. Il décide d’écourter sa permission à la pêche pour me rencontrer. Il m’offre le gîte pour quelques jours chez lui.
Portrait du général de la base militaire de Chiraz
Après une école militaire, le général a débuté sa carrière militaire comme sous-officier, alors que l’Iran était en plein conflit armée avec l’Irak. À cette époque, on réglait ses comptes avec celui d’en face à coups d’armes chimiques souvent enterré dans des tranchées.
Les marques de cette guerre sont encore vives dans l’histoire de beaucoup d’Iraniens. Dans la rue, on peut croiser d’anciennes gueules cassées et il suffit de traverser les avenues de n’importe quelle ville iranienne pour passer devant des dizaines, des centaines de portraits géants des soldats morts lors de ce conflit – un moyen pour l’État de s’acheter un peu de sentiment patriotique selon beaucoup d’iraniens.
Aujourd’hui, les cheveux courts grisonnants, les traits marqués et le physique athlétique, Faraz me dit être avant tout un général préférant le terrain aux bureaux et aimant nouer une vraie proximité avec ses hommes. Malgré la soixantaine approchant, il continue donc de faire les grandes marches nocturnes avec ses hommes et tient à donner lui-même les cours de sport de combat aux conscrits au service militaire – obligatoire en Iran et pour une durée de deux ans.
Féru d’arts martiaux, Bruce Lee est l’idole de Faraz depuis sa plus tendre enfance. Son sport de prédilection : le Krav-maga, qu’il enseigne à ses hommes – ce qui est assez curieux lorsqu’on sait qu’il s’agit du sport martial inventé et pratiqué tous les jours par l’armée Israélienne, grand ennemie juré de l’Iran dans la région. Enfin, il enseigne l’anatomie à l’université de Chiraz pour son plaisir personnel.
Il se passionne depuis peu pour la musique. Apprenant que je joue du piano, il m’amène dans son QG du moment, un modeste café artistique tenu par une famille de musiciens de Chiraz. Le gérant du café, qui est aussi chef d’orchestre, aime présenter fièrement l’un des prix que son ensemble de musique de chambre a gagné en Bulgarie. S’en suit un moment délicieux où j’accompagne au piano le général et le chef d’orchestre dans une chanson populaire iranienne.

Forte personnalité à Chiraz, impossible de parcourir cent mètres dans la rue de la ville sans que les familles et les soldats ne viennent serrer la main du général Faraz accompagné de grands sourires. Moi, je suis ravi parce que l’entrée au musée militaire est gratuite ainsi que les courses de karting dans les quartiers des officiers avec le général.
Malgré son statut privilégié, le général m’accueille dans un appartement très simple dans lequel il vit seul. Sa garçonnière, comme il l’appelle, ressemble aux appartements simples et austères dans lesquels j’ai séjourné à Ispahan. Un salon presque vide, une petite cuisine et dans sa chambre, un simple lit militaire ; le général aime la simplicité.
Massage musclé à l’Iranienne
Je suis incapable de m’asseoir correctement en tailleur, ce qui est assez fâcheux en Iran où ni un repas, ni une discussion chez un hôte ne se passe sans être assis ainsi. Depuis le début de mon voyage, cela me vaut les sourires de mes hôtes et les rires hilares de leurs enfants. Bien décidé à remédier à ce problème, j’accepte hardiment la proposition du général de faire travailler mon muscle pour gagner la souplesse qu’il me manque.
J’ai de la chance, me dit Jafar qui est aussi présent, levant solennellement le doigt : le général est l’homme le plus savant de tout Chiraz en anatomie. Rien de moins !
Toutefois, Jafar omet de me préciser que l’exercice en question est celui pratiqué par les forces spéciales iraniennes après les entraînements. Je me retrouve alors sur le ventre, puis sur le dos, puis sur le côté, la jambe tirée, ratatinée, écartelée, poussée dans tous les sens par un général iranien qui a pour plaisir de courir avec ses hommes à travers les montagnes en portant des sacs de quarante kilos.
En bon officier soucieux du confort de ses hommes, le général Faraz me demande au milieu de l’exercice si tout va bien. Je lui réponds que tout baigne, vraiment ! tout en me demandant si un muscle peut finir par imploser. La bonne nouvelle, c’est que je suis capable de m’asseoir en tailleur pour les trois jours qui suivent.
L’Iran est-elle une menace dans sa région ?
Je profite de rencontrer le général pour parler de la vision de l’Iran en occident, encore perçue comme une menace. Pour le général Faraz, la situation est assez simple : le pays est en position défensive et non un pays sanguinaire en quête d’expansion comme on peut le lire dans les grands journaux occidentaux. Selon lui, l’Iran est seul dans sa région depuis la révolution de 1979. Là où l’occident voit la présence iranienne en Irak contre Daech comme une menace, l’Iran affirme agir en faveur de la stabilité dans sa région. Totalement isolé géo-politiquement et dans une région ravagée par Daech d’un côté et les talibans de l’autre, il m’explique que l’Iran souhaite avant tout privilégier la sécurité de sa population et rétablir la paix dans sa région en reprenant le dialogue avec ses voisins.
Les Iraniens rencontrés au cours de ce voyage sont souvent pacifistes, fatigués par les conflits se trouvant à leur porte. Dans un pays en pleine crise, malgré des infrastructures développées et un bon niveau d’éducation, les iraniens souhaitent la reprise des relations avec leurs voisins et l’ouverture de l’économie à l’international. Selon le général, la pacification de l’Irak par les forces iraniennes est un moyen de reprendre le dialogue.
Un jeune téhéranais m’explique que la tête des services de sécurité est reconnue par les iraniens pour son expérience de terrain suite aux conflits Iran-Irak puis à la protection du sol iranien contre Al Qaïda. Je remarque dans mon voyage que même parmi les plus fervents opposants au régime, une grande confiance est accordée à l’armée et à sa capacité à protéger les frontières de l’Iran dans une région actuellement minée par le chaos.